Jusque dans les années 1970, le « logiciel » idéologique de la gauche et de l’extrême gauche tournait en effet essentiellement autour du marxisme et de la lutte des classes ; le postmodernisme, la nouvelle philosophie et l’antitotalitarisme se sont mis après, lentement mais sûrement, à saper les fondements de cette doctrine. Dès lors, sur les décombres du marxisme, pouvait s’élaborer une pensée du fragment empruntant à la fois aux études culturelles, aux études de genre et aux études postcoloniales. Cette découpe d’entailles verticales au sein du corps social a eu pour effet de mettre purement et simplement au rancart, de ringardiser la lutte de classes et les combats syndicaux. C’est ainsi que toute une logique libérale-libertaire est venue harmonieusement se couler dans le cadre de la segmentation du marché promue par le capitalisme tardif. L’identité individuelle, devenue l’icône de notre postmodernité, a nécessité à son tour l’installation de toute une logistique d’accompagnement chargée de soutenir les individus fragilisés par la disparition des structures collectives d’encadrement.
L’individu, la culture et le retour à l’origine sont alors devenus les mots d’ordre de notre postmodernité globalisée. Puisque le sort des habitants de notre pays ne pouvait plus être amélioré par la redistribution des fruits de la croissance, il fallait trouver une idéologie de la « décroissance », du sevrage économique voire écologique, et donc chercher dans les ressources de l’individu, dans ses ressources identitaires, culturelles, psychiques, des modes de substitution au défunt récit de la société d’abondance.
Mais ce multiculturalisme libéral a échoué en France, comme partout ailleurs en Europe. Non pas, comme le prétendent Angela Merkel, David Cameron et Nicolas Sarkozy parce qu’il ne serait pas parvenu à « intégrer » les « immigrés », mais parce que, en fragmentant le corps social, il a abouti à dresser l’un contre l’autre deux segments de la population : l’identité majoritaire et les identités minoritaires. Par une sorte d’effet boomerang, l’apparition au sein de l’espace public de minorités ethno-culturelles et raciales a provoqué, dans chaque cas, le renforcement de l’identité « blanche » et chrétienne.
Au-delà d’une réflexion d’ordre général sur l’ethnicisation de la société française, les différents chapitres de ce livre constituent autant d’exemples de ce processus, qu’il s’agisse de la scansion de « séquences » identitaires qui marquent la vie politique française, de la stigmatisation ou de l’idéalisation des Roms, de la culturalisation des luttes sociales de Martinique et de Guadeloupe, ou de la fragmentation et de l’individualisation des pratiques alimentaires.
Au-delà des fantasmatiques identités, recension par Laurent Etre dans L’Humanité. (Le 5 septembre 2011)
Recension par Jacques Munier, dans son émission L’Essai du jour sur France Culture (le 30 août 2011).
Ethnicisation négative, point de vue par Cécile Canut sur Médiapart
Interview de Jean-Loup Amselle par Michel Ezran sur Aligre FM, à l’occasion de la parution de son livre L’Ethnicication de la France (le 14 septembre 2011).
Recension dans Le Monde Diplomatique (octobre 2011). [lien payant]
"La Guerre des gauches". Recension par Juliette Cerf dans Télérama (le 7 novembre 2011).
Recension par Bernard Traimond sur antropologiabordeaux (le 10 décembre 2011).
Film de la rencontre organisée à la librairie Tropiques, organisée par Dominique Mazuet en septembre 2011.
Note de lecture par le groupe IRENE (Identités Religions Etudes des Nouveaux Enjeux) (3 janvier 2012).
"La discrimination positive est une escroquerie", entretien avec Coralie Delaume sur Marianne2.fr. [juin 2012]
Table
Introduction : Une époque anthropologique
I. Vers un multiculturalisme à la française
II. L’ethnicisation des rapports sociaux : réalité objective ou mise en scène réglée du corps social ?
III. La « séquence » Rom
IV. Négritude, créolisation, créolité
V. Le multiculturalisme alimentaire
Conclusion
Jean-Loup Amselle est anthropologue. Il enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et dirige les Cahiers d’études africaines. Il est, entre autres, l’auteur de Rétrovolutions, Stock, 2010 ; L’Occident décroché, Stock, 2008 ; Branchements, Flammarion, 2001 ; Vers un multiculturalisme français, Flammarion, 1996. Il contribue régulièrement à la revue Lignes.