Jacques Derrida a longuement pensé et défini ce que serait une « politique de l’hospitalité ». Définissant ce que serait une telle politique, il a par le fait défini ce que, selon lui, serait ou devrait être toute politique. Toute politique en tant que telle serait par principe et par définition « politique de l’hospitalité ».
Différemment, Alain Badiou dit en réalité la même chose, lequel place au cœur de l’action politique de défense des travailleurs en général, le sort particulier réservé aux travailleurs étrangers sans-papiers, en tant que cette particularité documente utilement et symboliquement la situation générale.
Or la politique actuelle, celle qui se donne et définit comme politique pour les jours présents et à venir (de droite en France, mais pas seulement en Europe, et la question est et sera européenne), se donne et définit aussi et essentiellement comme politique de l’inhospitalité, selon Derrida, et comme politique de l’exploitation selon Badiou. Cette politique actuelle, ces mots, entre autres, et dans le désordre, la désignent explicitement : politique de l’immigration (immigration « subie » ou « choisie »), définition de l’identité « nationale » (un pas de plus et cette identité eût été « française ») constituée en relation avec ladite politique de l’immigration (création par Sarkozy d’un dit-ministère : de l’immigration et de l’identité nationale), police des frontières qui en assure la surveillance et y reconduit quiconque les passe illégalement (police qui peut compter sur l’érection, aux frontières de l’Europe unie, de murs prophylactiques), surveillance des territoires (généralisation des contrôles, rafles), centres ou camps de rétention (lieux de non-droits notoires), chartérisations, « quotas » d’expulsion (que les idéologues de l’exécutif n’aient pas reculé devant l’emploi de ce mot en dit long sur leurs intentions), etc. tous mots qui font l’objet d’une surenchère idéologique et d’un durcissement législatif et policier. Surenchère et durcissement qui ne devraient qu’aller s’aggravant dans le cadre de l’harmonisation prévue des dispositifs européens ; il est ainsi prévu que le « confinement » des personnes dans les centres ou camps de rétention puisse être porté à… 18 mois !
Tous mots d’une inhospitalité politique pensée et systématisée, dont ce numéro va à son tour s’emparer ; pour penser et systématiser les politiques qui l’inspirent, bien sûr ; mais pour penser aussi et surtout les politiques (actions des réseaux, associations…) qu’elles mobilisent. Une mobilisation existe en effet, efficace, grâce à laquelle de la politique revient.
Sommaire
I.
Alain Brossat, L’espace-camp et l’exception furtive
Olivier Le Cour Grandmaison, Xénophobie d’État et politique de la peur
Christiane Vollaire, La barbarie discrétionnaire
Philippe Hauser, Les vaincus de la démocratie
II.
Georges Didi-Huberman, Position de l’exilé
Sidi Mohammed Barkat, L’indigène, une présence sans existence
Eugenia Vilela,
Dans le silence d’un corps. Déplacement et témoignage
Philippe Caumières, Peur de l’autre et haine de soi, l’identité en question
III.
Federica Sossi, Entre l’espace et le temps des nouvelles frontières
Armando Cote, Le pacte du silence : l’enfant et l’exil
Nicolas Klotz, Ne pas perdre la parole. Spectres contre spectres (2)
Pierre Cordelier,
La place des enfants n’est pas en centre de rétention
CORRESPONDANCE
Annie Epelboin, Destins croisés de deux philosophes
La correspondance Louis Althusser - Merab Mamardachvili