Cet exceptionnel numéro de Lignes est consacré à deux des figures majeures de la pensée et de la philosophie du XXe siècle, Walter Benjamin et Theodor Adorno.
L’amitié a lié les deux hommes. Benjamin est l’aîné, mais les vicissitudes de son existence ont fait que ce fut Adorno qui, des deux, agît le plus souvent en maître : le premier, en effet, dut au second ses moyens d’existence (une existence d’exilé, dont la fin fut tragique – suicide en 1940 à Port-Bou plutôt que d’être livré aux polices française et allemande) ; surtout, c’est Adorno qui, après le guerre, déploya de considérables efforts pour porter à la connaissance du plus grand nombre une œuvre certes géniale mais à tous égards inachevée. Il résulta de ses efforts que l’interprétation de Benjamin demeura longtemps liée à l’interprétation que lui-même en faisait. Le temps est venu de mettre celle-ci en doute et de distinguer clairement deux pensées qui se ressemblent moins qu’il y paraissait d’abord.
Le titre de ce numéro ne doit pas induire en erreur : il ne cherche pas à signifier que tous les textes seront consacrés aux rapports que les deux hommes et leurs deux pensées ont entretenus (ces études font cependant toute la place qu’elle mérite à la récente publication de leur correspondance). Quelques-uns seulement s’y attacheront, ménageant, mais sans plus, la place qui revient à la polémique qu’entretiennent certains de leurs interprètes respectifs. Plus essentiellement, il s’agira de mettre à jour ce que ces deux pensées, ensemble et séparément, mettent de pensée en jeu aujourd’hui (comment elles mettent la pensée elle-même en jeu).
Les autres contributions s’attacheront, en un nombre si possible respectivement égal, à développer les contemporanéités et les postérités de chacune (c’est ainsi que d’autres figures traversent cet ensemble textes : celles de Kracauer, de Scholem, de Kafka ou de Debord, pour n’en citer que quelques-unes).
Nous publions également dans ce numéro deux textes de Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy en hommage à MAURICE BLANCHOT (1907-2003), l’une des figures intellectuelles et littéraires tutélaires de Lignes.
Sommaire
Présentation
Jean-Michel Palmier, Un matérialisme problématique
Enzo Traverso, Adorno, Benjamin : une correspondance à minuit dans le siècle
Michael Hirsch, Adorno après Benjamin. Politiques de l’esprit
Alexander García Düttmann, Réussir ou presque
Antonia Birnbaum, « Faire avec peu ». Les moyens pauvres de la technique
Jean-Louis Déotte, Sur la formule benjaminienne : peinture = copie + imagination
Norbert Trenkle, Négativité brisée. Remarques sur la critique de l’Aufklärung chez Adorno et Horkheimer
Mathilde Girard, Kracauer, Adorno, Benjamin : le cinéma, écueil ou étincelle révolutionnaire de la masse ?
Jean Lauxerois, Adorno – sur écoute
Claude Amey, La dialectique de A. à B.
Maurice Blanchot, 1907-2003
Jacques Derrida, Un témoin de toujours
Jean-Luc Nancy, La mort de Maurice Blanchot
Directeur : Michel Surya
Comité de rédaction : Fethi Benslama, Alain Brossat, Jean-Paul Curnier, Jean-Luc Nancy, Bernard Noël, Enzo Traverso