L’Espèce humaine, de Robert Antelme, est l’unique œuvre d’un écrivain considérable ; il est celle d’un penseur également considérable. Parce qu’à l’instar des livres de Primo Levi, Imre Kertesz ou Bruno Bettelheim, il ne s’agit pas seulement d’un livre de « témoignage » sur les camps ; parce qu’il n’est pas seulement le moyen de la « remémoration » de ce qui ne doit à aucun prix être oublié ; parce qu’il engage de la pensée. C’est ce que ce livre de Martin Crowley, le premier qui lui soit consacré, met admirablement en lumière.
Il y a eu un « rêve SS » écrit Antelme : celui de distinguer à l’intérieur de l’espèce humaine, de réduire à l’état de déchet, de rebut ou de bête tout ce que le système nazi voulait retrancher de l’humanité, tout ce qu’il affirmait constituer une « sous-humanité ». L’épouvantable violence concentrationnaire avait ce sens : dégrader, abaisser, au point que ce ne fût plus des hommes qu’ils exterminaient. En face de ce « rêve », protester que l’espèce humaine est une et indivise n’a pas de sens, affirme Martin Crowley ; ou il n’a plus de sens aussi longtemps qu’on use pour cela du vieil humanisme, de l’humanisme classique. Non, il y faut un nouvel humanisme. Un humanisme qui fasse de l’homme, ce déchet, ce rebut, cette bête y compris. Il s’agit d’étendre les possibilités humaines aussi bas que l’homme lui-même a été porté. C’est à ce prix seulement que se constitueront des moyens de résistance efficaces contre tout nouveau « rêve » d’extermination.
Robert Antelme. L’humanité irréductible est le premier livre de Martin Crowley publié en France.