Constitués en « corps » sous la pression croissante des attaques menées contre le statut dont ils bénéficient, les « intermittents du spectacle » font ici l’objet d’une analyse politique méthodique. Michel Surya choisit de les désigner sous l’appellation de « travailleurs de l’industrie du spectacle et du divertissement de masse », prenant acte, d’une part, de la marchandisation de l’art dit « vivant », sous toutes les formes de divertissement auquel il se prête ; d’autre part, de la généralisation doctrinaire de « l’intermittence » des conditions professionnelles qu’appelle de ses vœux le patronat.
En 112 séquences, l’auteur du « Portrait de l’intellectuel en animal de compagnie » déroule une argumentation ironique et polémique, dont les principales étapes peuvent être résumées de la façon suivante :
- le patronat ne désire rien tant, en principe, que la généralisation de l’intermittence ;
- le spectacle dit vivant est devenu, avant tout, l’argument d’un tourisme culturel de masse (festivals, sons et lumières, « journées », etc.) ;
- dans la défense de leur statut d’exception, les intermittents n’ont pas hésité à faire usage de l’argument des retombées économiques indirectes induites par les « événements » auxquels ils participent (nuitées, petit commerce, etc.) ;
- en revanche, ils ont semblé ignorer totalement la portée générale qu’aurait pu recouvrir leur « lutte » (en terme d’organisation du travail, la situation d’un routier en attente de chargement diffère peu de celle d’un intermittent) ;
En conséquence de ces points, la « lutte » menée médiatiquement par les travailleurs de l’industrie du spectacle et du divertissement de masse s’avère :
- quant à la stricte défense de leur statut : manifestement inefficace ;
- politiquement : contre-productive (la défense du principe d’intermittence profitant d’abord aux tenants d’une économie flexible et « décomplexée ») ;
Extrait :
« Il n’y a rien en effet comme la fin de quelque intermittence que ce soit qui soit moins à l’ordre du jour. C’est tout le contraire même. L’instance représentative du patronat (le Medef) regarde en effet le statut de l’intermittence des travailleurs de l’industrie du spectacle et du divertissement de masse comme le modèle par excellence et comme, par anticipation, celui sur lequel aligner toute la législation du travail, dorénavant.
Si bien qu’il faut dire ceci : les travailleurs de l’industrie du spectacle et du divertissement de masse eussent fait montre de lucidité politique en s’avisant que, au lieu de continuer à prétendre à l’exception qui était la leur, ils constituaient en réalité déjà une règle à laquelle il n’y aurait bientôt plus de travailleur, de quelque sorte que ce soit, à pouvoir s’excepter. »
Extraits de presse : série De la domination
De la domination. Le capital, la transparence et les affaires (Farrago, 1999)
De l’argent, la ruine de la politique (Payot, 2000)
Portrait de l’intellectuel en animal de compagnie (Farrago, 2000)
« Il y a la pensée et il y a la langue. Inextricablement liées. A tel point qu’on se demande, à lire Michel Surya, ce que l’une doit à l’autre et inversement […] Michel Surya fait partie de ces écrivains qui déploient sur le papier la mécanique impeccable de leur reflexion : la phrase assène toute une série de démonstrations qui claquent comme des coups de fusil. Si Surya ne propose pas vraiment de moyen de s’en affranchir, il indique toutefois la radicalité du geste révolutionnaire qu’il y aurait à accomplir. Quand la pensée se fera action. On en sort revigoré par la beauté de la langue et par la force de la pensée. »
Thierry Guichard, Le Matricule des anges, n° 27.
« Pour résumer vite ce qui se lit en revanche à petites lappées, comme un alcool fort, comme un exercice de retrouvailles avec une pensée en ruban de Mœbius, Surya veut – et démontre in fine – que ladite transparence n’est que l’ultime piège d’un capitalisme qui, après celui-là, devrait n’en redouter plus aucun […] Si chez Debord tout était décrit en miroir, Surya développe l’argument de la disparition même du miroir, pour que n’existe plus que le miroitement à l’infini […] Ainsi De la domination est-il un texte utile et déprimant en ce que, décrivant la prison, il n’en propose aucune sortie possible et semble se restreindre à un « Qui le fera après moi ? » […] Ce pessimisme noir a besoin d’être troué de lumière. »
Arnaud Viviant, Les Inrockuptibles, 16-22 juin 1999
« Apparemment, les affaires qui ont défrayé la chronique ont mis à nu l’emprise que le capital exerce sur les corps et sur les cœurs. On a pu croire que leur dénonciation était un signe de bonne santé. Nos démocraties seraient sorties de l’épreuve plus morales, modernisées. En fait, il n’en est rien. Michel Surya déchire le voile de nos illusions dans un étrange livret, constitué de courts paragraphes numérotés […] une sorte de bréviaire de la domination écrit d’une plume acérée qui griffe encore la page. »
Philippe Simonnot, « La ruse du capital », Le Monde, 14 mai 1999
« Il faut lire ce livre mince mais percutant de Michel Surya, qui décale tout le débat politique contemporain pour tenter de le remettre en jeu. Ce qui relève de l’urgence. »
Bertrand Leclair, La Quinzaine littéraire, juin 1999
« Mais, le pire, dans De l’argent, c’est une effrayante démonstration qui suggère que les acteurs les plus empressés (quoique également les plus aveugles) de la ruine de la politique furent peut-être ceux qui avaient le plus combattu le capitalisme […] Lancinante, enveloppante, l’écriture de Surya apporte en tout cas un ton nouveau au débat. Les deux ouvrages, quoique baignant ensemble dans un pessimisme de jais, ne se concluent pas tout à fait sur la même note. »
Eric Loret, Libération, 8 juin 2000
« Dans un style à la Guy Debord, froid et rageur, Michel Surya décrit de façon très conceptuelle la ruine de la politique et le triomphe du Capital. »
F. P., Le Canard enchaîné, 26 juillet 2000
« Invité ce dimanche-là […] pour un admirable petit libelle récemment paru […] Surya capta brusquement notre attention. Voilà qu’on entendait une voix venue d’ailleurs. Voilà qu’un accent détonait. À la troisième phrase, on comprenait que cette voix n’appartenait à aucune des tribus parisiennes répertoriées […] Parole beaucoup plus radicale que cela ; expression magnifiquement hautaine d’une colère située bien au-delà des chipotages déontologiques et des humeurs corporatistes […] L’intensité de ce refus-là, la qualité intrinsèquement irrécupérable de cette rébellion semblait à l’oreille, plus nécessaire que jamais. N’est-ce point en écoutant ceux qui, à l’instar de Surya, ont choisi exil et solitude qu’on prend la vraie mesure de soi-même ? »
J.-Cl. Guillebaud, Nouvel observateur
« La force de ce livre [De la Domination, 1] réside dans son décryptage des tours de passe-passe par lesquels la façade morale, vertueuse, de la transparence a constitué la chance inespérée d’une perpétuation et d’un élargissement de la domination qui, élaguée de ses travers exogènes, se retrouve dédanouée, au-dessus de tout soupçon, en son fondement même. »
Véronique Bergen, Mensuel littéraire et poétique, Belgique
« Jeunes gens, encore un effort avant de consommer, lisez Surya. Après De la Domination chez Farrago, publié en 1999, Michel Surya continue ses dissections […] avec une écriture entêtante, obsédante. Il dissèque les stratégies du vainqueur, les procédures de la dictature gagnante depuis 1989, date de la chute du mur de Berlin, dont il fait l’an zéro de la victoire du tout capital […] en évitant l’apocalyptique d’un style de prophète, et en assumant l’héritage de Debord qui se pensait dernier penseur/styliste avant la fin des temps. »
Robert Cantarella, Frictions, n°1
« De la Domination : une telle mutation du capitalisme peut désormais prendre ce nom : il suggère la maîtrise, l’esclavagisme, la religion. C’est un nom sans appel, sans autre appel que celui, dialectique, impensable, de l’athéologie, de la libération, de la révolution. C’est le nom qu’a retenu Michel Surya pour intituler trois de ses derniers livres : l’un après l’autre et sous forme de fragments ou de variations, ils déclinent les visages réels d’une puissance immonde et insidieuse. »
Christophe Bident, Drôle d’époque, n°9, automne 2001
Michel Surya
Écrivain, philosophe, Michel Surya est l’auteur de plusieurs récits, dont Défiguration, Exit et Olivet, d’un roman, L’Éternel retour ; de plusieurs essais littéraires, dont L’Imprécation littéraire, et Humanimalités, de plusieurs essais politiques, De la domination ; Portrait de l’intellectuel en animal de compagnie (Farrago) ; De l’argent (Payot) ; La Révolution rêvée (Fayard).
Une partie de son travail a porté sur l’œuvre de Georges Bataille, dont il a écrit une biographie (Georges Bataille, La Mort à l’œuvre). Il a collaboré à plusieurs ouvrages collectifs entre autres consacrés à Georges Bataille, Robert Antelme, Roger Laporte. Préfacé des éditions de Sade (Français, encore un effort…), Brontë (Les Hauts de Hurlevent, illustré par Balthus), Bernard Noël (Les Premiers mots), Lavant (Das Kind), Thévenin (Artaud : fin de l’ère chrétienne).
Il a créé en 1987 la revue Lignes (Art, littérature, philosophie, politique), qu’il dirige depuis : de 1987 à 1991, aux Éditions Séguier ; de 1992 à 1999, aux Éditions Hazan, et, de 2000 à 2006, aux Éditions Léo Scheer. Les Nouvelles éditions Lignes sont constituées début 2007.
Michel Surya a 52 ans ; il n’enseigne pas.