Qu’en est-il de la situation nouvelle qui a résulté des attentats du 7 janvier 2015 ? À entendre les représentants de la pensée critique radicale, une césure opérante a semblé se dégager : ce serait selon que le capitalisme est premier ou second dans l’analyse, que s’établiraient les pensées et se distribueraient les déclarations. Ce qu’on peut dire autrement : ou bien l’anticapitalisme est premier, et il n’y aurait de moyen de penser cette situation que comme l’un des symptômes dont seul le renversement du capitalisme aura raison ; ou bien cette situation témoigne d’autre chose, qui ne menace pas davantage le capitalisme que l’anticapitalisme qui conspire à le renverser.
La difficulté qu’on n’a alors vu presque personne aborder : les rapports ne sont-ils pas en train de changer au point que penser selon les termes des puissances respectives du capitalisme et de son opposition ne suffit plus. Une autre puissance émerge qui ravage des territoires entiers, y répandant la terreur (terreur qui n’atteint encore l’Europe qu’épisodiquement), qui n’est sans aucun doute pas moins hostile à l’anticapitalisme qu’au capitalisme lui-même. De là que l’étau se resserre : plus de gauche ou presque, où que ce soit ; un plébiscite au contraire pour un libéralisme sans fard ni frein ; une extrême droite à l’affût et aux portes du pouvoir ; et, enfin, le déferlement d’un archaïsme historique qu’on ne voit pas à quoi comparer sinon à une variante du fascisme.
Michel Surya est philosophe et écrivain, directeur de la revue Lignes. Il a récemment fait paraître L’autre Blanchot : L’écriture de jour, l’écriture de nuit, Gallimard, coll. « Tel », 2015. Capitalisme et djihadisme est le sixième volume de la série « De la domination », dont les précédents volumes parus chez Lignes sont : Portrait de l’intermittent du spectacle en supplétif de la domination (2007) et Les Singes de leur idéal (2013).
Article de Didier Pinaud paru dans L’Humanité du 22 février 2016.