Il est clair qu’au sujet du nom « Israël » bien des prises de position sont crispées, parce qu’irrationnelles. Qu’un nom soit noué à des affects, rien de plus normal, de plus commun. Mais que les affects prennent le pas sur les raisons, c’est à l’évidence dommageable, en premier lieu pour les juifs, sans doute, mais pas seulement. Et c’est singulier.
Dans Les pingouins de l’universel. Antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme, Ivan Segré se propose de reprendre le fil historique et politique des raisons : dans une première partie, il aborde la question à partir de l’antijudaïsme antique, puis chrétien, jusqu’à l’antisémitisme. Dans une seconde partie, il aborde l’antisionisme. Il s’agit d’y voir clair, tout simplement.
Les qualités de l’auteur sont connues, et cet ouvrage les confirme : la démarche est rationaliste, le sujet est maîtrisé, l’inspiration est progressiste (« ouvrière » dit-il ailleurs).
Qu’est-ce que l’antijudaïsme ? Principalement une xénophobie, apprend-on au début de son enquête, mais qui a deux versants : l’un est politique (païen), l’autre théologique (chrétien). Le préjugé théologique domine au Moyen-Âge. Puis, avec la Renaissance, la politique réacquiert son antique prééminence sur la théologie. La Révolution vient après, d’où procèdent les grandes pensées, de Saint Just à Marx et Trotsky, Weil, Arendt, Badiou. Cependant, la théologie n’en continue pas moins de tirer quelques ficelles, comme dans la parabole du « nain bossu » de Benjamin, dans sa première thèse sur le concept d’histoire. Et la xénophobie sur la scène de l’Histoire ne cesse de refaire surface.
L’antisémitisme est la métamorphose raciste de l’antijudaïsme xénophobe, et il conduisit à Auschwitz. C’est un point acquis aux yeux de tous. Mais un autre fait, quasiment contemporain, lui est associé : la création de l’État d’Israël. Et à ce sujet, rien ne semble acquis aux yeux de personne.
Il importait grandement qu’un livre sobre, réfléchi et cependant résolu apporte des raisons, des éclaircissements à une question qui ne cesse de cliver, et de cliver bien au-delà, et parfois bien autrement, que ne clivent d’autres questions, moins « sensibles » apparemment.
C’est en effet un sujet « sensible », la question d’Israël et de l’antisionisme. Et c’est pourquoi il fallait un livre à la fois raisonné, instruit et senti. Il n’en fallait pas moins pour dissiper les confusions et grandir les débats.