Comme enseveli au profond des 12 volumes des Œuvres complètes de Bataille (une cinquantaine de pages de son tomeII), « La valeur d’usage de D.A.F de Sade » constitue sans nul doute l’asymptote de la très violente altercation littéraire, poétique, intellectuelle et politique qui a opposé son auteur à celui qui présidait aux destinées d’un surréalisme alors à son apogée, André Breton (altercation, rappelons-le, dont c’est Breton qui a pris l’initiative dans le Second Manifeste du surréalisme). Précisons : Sade leur est une référence commune. Une référence majeure même. À ceci près que, prompt à dénoncer l’idéalisme subreptice du surréalisme, Bataille reproche à Breton et à ses pairs d’en faire un usage littéraire, – autrement dit, douceâtre – en somme, forfaiture entre toutes, de le domestiquer. Il incarnerait certes pour eux comme pour lui une insoumission sans pareille, mais ce serait pour mieux n’en pas faire eux-mêmes l’expérience, comme lui-même l’a faite. Et quelle expérience ! Toute celle de Sade, sans en rien omettre. La littérature se recommandant de Sade n’a de sens, pour Bataille, qu’à aller aussi loin que lui, sans quoi elle n’est qu’une pauvre escroquerie, et Sade qu’une excitation de chapiteau.
Bataille en pose on ne peut plus crûment la question :
« – Ceux qui admirent Sade sont des escrocs – entends-tu ? – des escrocs…
Elle me regarda en silence, elle n’osait rien dire. Je continuai :
– Je m’énerve, je suis enragé, à bout de force, les phrases m’échappent… Mais pourquoi ont-ils fait ça avec Sade ?
Je criais presque :
– Est-ce qu’ils avaient mangé de la merde, oui ou non ? »
L’échange, extrait du Bleu du ciel, a beau tout avoir de la provocation (faut-il répondre par l’affirmative à l’injonction sadienne, selon laquelle, de la merde, il faudrait en avoir mangé), il est pour Bataille le moyen de porter la littérature à la hauteur qui doit être la sienne pour ne pas démériter, et de l’y maintenir, en même temps que d’établir une théorisation d’un matérialisme bas, exempt de toute idéalisation, de toute forfanterie et de tout défaussement philosophiques. L’attaque, sous forme de lettres ouvertes à des camarades (1929-1930) a beau emprunter aux formes de la polémique violente (d’une violence qui avait cours alors), elle n’œuvre pas moins, dans le désordre, à fourbir les outils théoriques de « l’hétérologie » (tout ce qui est autre, sale, vil, fou, infâme, rebuté, répudié, etc.), laquelle jouera un rôle prépondérant dans sa critique de la politique, du fascisme comme du communisme (voir La Structure psychologique du fascisme, réédité dans la même collection).
Le livre est suivi d’une remarquable postface inédite de Mathilde Girard, qui étend la portée de ce texte inaugural à l’entièreté de l’œuvre de Bataille et à ses métamorphoses futures.