On partira d’emblée de l’idée, inspirée de la réflexion de Benjamin, que tout travail historique sur le temps implique un geste de fixation du présent dans la réalité sensible des choses mêmes.
Temps historique ? Le terme, pris ici dans son sens usuel, est sans doute impropre pour désigner ce phénomène à la fois de fixation et de dérobade, tant il est soumis à une loi de discontinuité, d’ajournements, de défiguration et de destruction, loi au travers de laquelle la question du temps messianique émergerait à la surface la plus inapparente de l’expérience, « des déchets pour ainsi dire », comme le souligne Benjamin dans une lettre adressée à Scholem.
Temps messianique ? Parce que ce dernier déborde de toutes parts les limites, ou la loi de fixation. La réflexion sur le temps historique viendrait donc échoir sur une temporalité qui ne se conçoit que comme dessaisissement dont l’énergie serait soit restaurative soit utopique, affectant ainsi au temps lui-même une dimension explicitement politique que l’on pourrait ramasser dans le binôme : droit et violence.
Ce numéro de Lignes interroge l’état d’exception que représente le temps messianique au moment précis où il semble faire son apparition dans le tissu même du temps historique. Fracture, intrusion, rupture, accélération, déchirure, impatience, invitation, enchantement, révolution…, il s’agit toujours d’une épreuve de déformalisation du temps lui-même suscitant un effet de diachronie, de décrochage, de détournement ou de renversement, là où le temps historique fait valoir sa souveraineté. La critique de la violence est donc au cœur de ce numéro comme au cœur de toute traversée conceptuelle dans une pensée du messianisme.
D’où l’idée d’accueillir dans un même numéro des champs de réflexion de nature à constituer une sorte de cartographie non exhaustive de ce que Scholem appelait « passer à travers le mur de l’historicité ». Le temps historique, en se déplaçant ostensiblement jusqu’à « l’instant » (Rosenzweig) fulgurant qui menace le bien fondé de sa vérité, fait apparaître des couches stratifiées et sédimentées qui sont comme autant d’idiomes à interpréter que l’aveu de la vulnérabilité absolue d’une tension temporelle qui ne peut se dénouer qu’en se niant elle-même.
Numéro proposé et réalisé par Danielle Cohen-Levinas, avec des textes et entretiens de :
Gérard Bensussan ; Marc Crépon ; Pierre Bouretz ; Danielle Cohen-Levinas ; Serge Margel ; Marc De Launay ; Joseph Cohen ; Raphael Zagury Orly ; Franson Manjali ; Shmuel Trigano ; David Brezis ; Gérald Sfez ; Petar Bojanik ; Géraldine Roux ; Maria Joao Cantinho ; Dimitri Sandler ; Dominique Bourel ; Gisèle Berkman ; Marc Goldschmidt ; Stéphane Mosès ; Jean-Luc Nancy
Sommaire :
- Danielle Cohen-Levinas, Avant-propos
- Gérard Bensussan, L’impatience messianique. Entretien avec D. Cohen-Levinas
- Stéphane Mosès, Messianisme du temps présent
- Serge Margel, L’idéalité du temps et le messianisme de l’histoire.
- Le messie kantien d’Hermann Cohen
- Marc De Launay, Messianisme et philologie du langage
- Danielle Cohen-Levinas, Temps contre temps - le messianisme de l’autre
- Dimitri Sandler, Le Mythe et l’image du temps messianique
- Maria Joao Cantinho, Instant, événement et histoire : L’actualité du messianisme à partir de Walter Benjamin
- Petar Bojanik, La violence divine de Benjamin et le cas de Coré (Korah) La rébellion contre Moïse comme première scène du messianisme
- Marc Crépon, La promesse des langues
- Joseph Cohen & RaphaËl Zagury Orly, Messianisme et politique. Note sur le sionisme religieux
- Gérald Sfez, Leo Strauss et « l’énigme totale »
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