La tragédie est une affaire simple et inattendue : on entre toujours dans son espace par surprise. Un homme se rend un soir dans une maison où une chambre a été retenue pour lui. Il comprend qu’un drame s’est produit, qui a fait oublier sa venue. Une mort, un suicide. On le conduit tout de même dans la chambre qui lui était destinée. Dans la nuit, une jeune femme entre, se dénude, empoigne le sexe, le plante dans son ventre : une jeune femme dont la ténèbre ne cesse à aucun moment de voiler le visage pendant qu’elle chevauche. Elle jouit puis s’en va, inconnue. Au matin, l’homme croise deux jeunes femmes, l’une est la sœur du mort, l’autre sa fiancée. Aucun signe ne distingue celle qui fut la visiteuse nocturne, et rien ne dit de quel sacrifice son sexe fut le couteau…
« Pour être dans une même nuit entrée dans sa vie et en être sortie, celle qu’il a nommée Marie n’en est pas moins restée en lui présence, présence perpétuelle, non pas souvenir ou mémoire mais bien présence absolue… »
Ce dernier mot n’est ici ni poétique ni illusoire : il est la raison d’être d’un récit qui vous jette dans un instant toujours repris, toujours renouvelé par la répétition de la Cène qu’on voudrait qualifier d’amoureuse afin de se dissimuler qu’elle fut le sacrifice au désespoir. Entre le mal qu’il fait à la morale et le bien qu’il fait à l’instant, l’acte de la jeune femme apparaît sans projet, c’est en quoi il est sacrificiel et rien d’autre.
Le narrateur reste passif et discret : il est traité en porte-sexe et non en partenaire. L’acte accompli sur lui ne veut pas communiquer avec lui mais avec la chose innommable que manifeste peut-être son sexe en introduisant l’exaltation mortelle du manque. Le narrateur comprend et ne comprend pas : il ne comprend plus ce qu’il a compris en ne résistant pas à un acte dont l’obsession perpétue le mystère.
Bernard Noël
Dans la presse :
« Marie pleine de larmes , comme les saintes et les folles de Jean Genet, comme chez Sade ou comme il en irait des fillettes de la comtesse de Ségur violées au coin d’un bois par l’affreux Dutroux, est un poème qu’on pourrait dire d’une mystique subversive, splendide et scandaleux à supposer qu’une instance de surveillance sévisse encore, ou peut-être absolument obsolète en ces temps de désacralisation absolue. » Julien Burri, 24 Heures