L’attention a souvent été portée aux objets lorsqu’ils constituent un enjeu du scénario, l’emblème d’un genre, la caractéristique d’un personnage. Exercice d’observation, « machins choses » retient les objets qui échappent à ces catégories, irréductibles : la force des choses.
« C’est quoi cette vache ? » Chose, elle s’impose, se pose là : telle quelle. Objet individualisé, isolé, en marge de la signification, solitaire pris dans son évidence concrète. Désignée par un insert, révélée lors d’une netteté soudaine de l’image, élue par un geste de saisissement, nommée, dérangée : la chose est choisie, remarquable, elle s’abandonne au plan, le polarise.
La chose s’émancipe parfois de sa condition, de son inertie, elle suit le mouvement, se prête à de multiples expériences. Elle peut être mise hors d’usage : jetée, brisée, ou trouver un nouvel emploi, gagner en souplesse et devenir personnage, trouver une destinée : elle intrigue. Elle peut aussi être plus secrète, s’immiscer, ouvrir un espace à part : le monde parallèle des objets. Sans s’affirmer, elle « fait tapisserie » ou passe inaperçue, et nous échappe.
Parfois, la chose résiste à la dénomination, ou bien, si ordinaire, elle devient autre, ne ressemble plus à rien. « “ Eh bien, qu’est-ce qu’il a, ce verre de bière ? Il est comme les autres. Il est biseauté, avec une anse, il porte un petit écusson avec une pelle et sur l’écusson on a écrit ‘Spatenbräu’.” Je sais tout cela, mais je sais qu’il y a autre chose. Presque rien. Mais je ne peux plus expliquer ce que je vois. » (Sartre, La Nausée) C’est un machin, un truc idiot (« dumnes Zeug », Vilèm Flusser), n’importe quoi.
Machins, choses, s’ils sont indéterminés, n’en définissent pas moins la mise en scène. « Donner aux objets l’air d’avoir envie d’être là » disait Robert Bresson. Car s’ils n’ont l’air de rien ou s’ils en disent trop, le film peut perdre la face. Leur place, leur rôle lui confèrent ou non la justesse : « Une chose ratée, si tu la changes de place, peut être une chose réussie. »
Jeux de mots, jeux d’objets, ce Vertigo à tiroirs se fouille comme la commode aux trésors des Enfants terribles (ou les armoires d’Adolpho Arrietta voisines), « trésor impossible à décrire. Les objets du tiroir ayant tellement dérivés de leur emploi, s’étant chargés de tels symboles, qu’ils n’offraient aux profanes que le spectacle d’un bric-à-brac de » tasses, pipes, fourchettes, cuillères, verres brisés, porte-cigarette, pommes, pot, mélodies pop, popo, poupées, fraises, torchon, fusil, pistolet à plomb, etc.
« Cinéaste-toupie », Adolpho Arrietta se prête à ce jeu d’artifices en apportant ses jouets du désir : ailes d’ange, globes terrestres, collier magnétique, grenouilles dorées… et ce « musée d’objets perdus » nourrit sans cesse la rêverie de ses « films-aquarium ».