À ce nouveau numéro de Lignes, nous avons décidé de donner pour thème : l’amnistie. Le mot n’est pas fortuit. Les circonstances, bien sûr, l’imposent. Quelles circonstances : il faut penser à l’extradition d’anciens militants italiens réfugiés en France, comme Paolo Persichetti, livrés à la justice italienne, laquelle ne cesse pas de rouvrir les plaies des années de plomb, incapable qu’elle est de tirer un trait sur celles-ci.
Ce qui conduit à dire ceci : tirer un trait sur une situation historique ancienne, et à tous égards révolue, c’est l’amnistie seule qui le permet. D’elle seule dépend maintenant que la situation italienne soit débloquée. En même temps, ce n’est pas si simple, autrement dit amnistie est un mot ambigu. Il présente l’inconvénient de consacrer une « défaite » politique (c’est le mot au moyen duquel les « vainqueurs » « augmentent » leur victoire en « pardonnant » à ceux qu’ils ont vaincus). Mais il présente cet avantage : il reforme de l’histoire et la relance (alors que le refus de l’amnistie l’interrompt, la fige). Les anciennes divisions (jusqu’à la guerre politique, civile) deviennent alors l’occasion de former des divisions nouvelles, voire de former des réconciliations imprévues. Ceux qui ont été vaincus sont dès lors en mesure de prendre toute la part qui leur revient d’une histoire politique recommencée, surtout de faire valoir les raisons qu’ils ont eues d’y prendre cette part : l’amnistie, de ce point de vue, est étrangement à l’opposé de l’amnésie. 1793, la Commune, la Libération, la guerre d’Algérie ont donné lieu à des amnisties ; partant, à une anamnèse dont ce sont d’autres luttes qui ont pu sortir alors. Pourquoi pas, alors, vingt-cinq ans après, la guerre révolutionnaire qui a divisé l’Italie ?
Sommaire
Présentation
Alain Brossat, Mémoire et oubli : une histoire de couple
Sophie Wahnich, Refuser, revendiquer, accorder l’amnistie
Stéphane Gacon, L’amnistie de la Commune (1871-1880)
N. Dreyfus, J.-L. Chalenset, Amnistie et imprescribilité (Entretien avec A. Brossat et O. Le Cour Grandmaison)
Stéphane Nadaud, Mais où est donc passé le chapitre iv de « Trois milliards de pervers » ?
A. Vaulerin, I. Wesselingh, Prijedor : amnésies et réécritures
Jacques Mucchielli, Le corps du délit
Linda di Matteo, « Des bombes comme des bonbons » Le leader de la Ligue du Nord et les années de plomb
Oreste Scalzone, Apothéose de l’homo penalis (Entretien avec Fulvia Carnevale)
Pierre Tévanian, Le mythe de l’insécurité (ou : comment on construit des classes dangereuses)
Dossier conçu et réalisé par A. Brossat et S. Wahnich
Directeur : Michel Surya
Comité de rédaction : Fethi Benslama, Alain Brossat, Jean-Paul Curnier, Jean-Luc Nancy, Bernard Noël, Enzo Traverso