Peut-être n’y a-t-il rien de plus difficile à penser que la guerre. Peut-être n’y a-t-il rien de plus difficile, parce que la guerre, par définition, est l’arrêt de la pensée (son remplacement par d’autres moyens).
La guerre anglo-américaine en Irak n’y fait pas exception : mouvement de force brute, qui tient aussi peu compte que possible de ses conséquences possibles, catastrophiques. C’est ce qu’il semble, du moins. Les intérêts en cause sautent aux yeux et ce ne sont pas les motifs allégués (mettre fin à un régime tyrannique, établir une vitrine démocratique susceptible de servir de modèle pour la région) qui peuvent les dissimuler si peu que ce soit.
Cependant, force est de dire que cette guerre a été pensée par ceux qui l’ont engagée : les néo-conservateurs et les ultra-libéraux. Pensée comme moyen de leur politique économique et comme démonstration de leur puissance idéologique. Quelle politique économique ? le marché, partout, pour tous. Quelle puissance idéologique : le nouvel ordre mondial. C’est ce que la première guerre (du Golfe) avait commencé dès le lendemain de la chute de l’URSS ; c’est ce que celle-ci (d’Irak) tente de parachever.
Penser la guerre et penser les (arrière-)pensées anglo-américaines de la guerre, c’est ce qu’entreprend ce numéro de 12 de Lignes. Sur le mode de l’opposition résolue, certes ; sur celui du questionnement aussi. S’opposer ne suffit pas, en effet (on a vu d’ailleurs combien il avait été peu tenu compte des opinions publiques majoritairement hostiles) ; il faut encore questionner.
Et les questions ne manquent pas : de l’Occident, de la démocratie, du libre marché (du capital) ; des peuples et des luttes qu’ils pensent devoir conduire ; des peuples et des tyrans qu’ils préfèrent aux libertés qu’on leur impose ; du peu de cas qu’il y a peut-être lieu de faire de libertés qui dissimulent des intérêts aussi évidents ; de la liberté que prennent dès lors les libertés (en Irak, leur première incarnation, la seule peut-être, aura été : de culte) ; partant, du régime de représentation des religions quand la force n’y recourt pas moins que la faiblesse, et la faiblesse que la force ; des vaincus auxquels ne restent que les moyens « sournois » de la guerre (ce que les vainqueurs appellent : terrorisme), et que cette opération justifie a posteriori (les « répliques » commencent à s’étendre) ; du fait qui n’est pas douteux que les vaincus mènent une guerre quand les vainqueurs propagent leur paix ; des parentés que cette paix présente avec un néo-colonialisme, etc.
Sommaire :
- Jean-Luc Nancy, Bilan succinct de la prétendue guerre avec l’Irak
- Alain Badiou, Fragments d’un journal public sur la guerre américaine contre l’Irak
- Jacques Rancière, De la guerre comme forme suprême du consensus ploutocratique avancé
- Alain Brossat, Les habits neufs du droit de conquête
- Abdelwahab Meddeb, Chronique d’une guerre
- Pascal Michon, Notes prises aux Etats-unis pendant la guerre en Irak
- Yitzhak Laor, Quelques conseils israéliens à « BB », dirigeants de l’ « AA »
- Goran Fejic, Enjeux de la construction d’un Etat de droit en Afghanistan. Stabilité ou justice ? L’ONU ou la coalition anti-taliban ?
- Bernard Noël, Le 19 août 2003
- Eric Le Grand, Grèves perlées à la poste du XVIIie arrondissement
Textes réunis par A. Brossat, J.-L. Nancy et M. Surya
GEORGES BATAILLE : UN INEDIT
Simonetta Falasca Zamponi, Bataille au Collège de sociologie, un inédit
Georges Bataille, La sociologie sacrée du monde contemporain
Directeur : Michel Surya
Comité de rédaction : Fethi Benslama, Alain Brossat, Jean-Paul Curnier, Jean-Luc Nancy, Bernard Noël, Jacqueline Risset, Enzo Traverso