À l’abri des murs du Chalet, les corps se pénètrent, essaient des positions impossibles pour une représentation absurde et lasse, sans public. La pauvreté des rapports humains, leur rudesse est scandée avec le détachement d’une vision moitié cruelle moitié rêveuse. Espace clos et pratiques sexuelles extrêmes suggèrent un monde dont on soupçonne que les protagonistes tentent de s’échapper.
Robert Cantarella est metteur en scène. Il sait que de l’invention d’une forme (scénique, littéraire) dépend la tonalité transmise. Le Chalet, par son sujet « honteux » (pauvreté et violence des rapports humains) et par sa construction (phrases inachevées, observation détachée, présence incertaine du/des locuteur(s)) oblige le lecteur à s’affronter à des questions qui, depuis Sade, traversent la littérature : celle-ci peut-elle tout dire ; si elle le peut, le doit-elle ?
De la même façon que l’œuvre de Sade effraie plus, aujourd’hui, par ce qu’elle suppose d’une possibilité mentale et existentielle (inchangée) qu’elle n’enrichit le catalogue des postures sado-masochistes rebattues, le livre de Robert Cantarella choque plus par sa liberté d’écrivain et son regard sur le malaise sexuel contemporain que par les situations qu’il produit.
La noirceur du récit rappelle les films du réalisateur autrichien Michael Haneke (Funny Games, et plus récemment La Pianiste). Dans une de ses réalisations, il filmait en huis-clos la destruction méthodique d’un pavillon par ses habitants, puis leur suicide collectif. Pas un mot n’était échangé. Décrire la réalité humaine sans fard, lui donner les mots qui lui manque (« Ne jamais retenir une envie elle devient tache »), voici l’ambition de ce livre, et sa réussite manifeste. Quant à sa douceur détachée, elle prend la forme de « vers », ou stances jetées sans achèvement qui conduisent le lecteur à un état de trouble croissant. Trouble d’une condition partagée, capable de tout.
Robert Cantarella a publié Manifeste pour une formation à la mise en scène, Entre/Vues, 1997.