couverture de LA PENSÉE CRITIQUE CONTRE L'ÉDITORIALISME
192 pages - 20,00 €
Éditions Lignes

LA PENSÉE CRITIQUE CONTRE L’ÉDITORIALISME

Revue Lignes n°42

Les faits (économiques, politiques – les seuls faits, en fait, désormais) semblent disposer d’un pouvoir sans borne. Tout s’y plie avec une bonne volonté confondante. Le langage lui-même. Celui surtout que règlent les hiérarques du pouvoir politique et médiatique (le même à très peu près) – leur pouvoir porte jusque sur le langage. Dont ils doublent les faits, au cas où ceux-ci ne se suffiraient pas. Qui les établit.

En 1946 déjà, Armand Robin prenait en charge la critique des faussaires du langage (il faut croire que les choses ne demandaient qu’à s’aggraver) : « Le processus qui mène au langage obsessionnel, c’est-à-dire en fin de compte à la suppression du sens des mots, a quelque chose de fascinant, d’ensorcelant ; dans ce surgissement d’un non-langage, il y a comme la promesse d’une nouvelle façon d’être, laquelle, tel le vide, attire et fait chuter ; si affreux que cela puisse paraître, nous irions jusqu’à dire qu’à des millions et des millions d’hommes, cette biblique extermination du langage peut paraître comme un repos inespéré, comme la Terre Promise ; le silence totalitaire, parfaitement réalisé sous forme de fausse parole imposée à toutes les lèvres, a ses chances de réussir à hypnotiser une humanité harassée ; un tel silence est promesse, non plus de mort au sens que les religions ont donné à ce terme mais d’une mort encore innomée où chaque homme serait mué en objet glacé ; dans les eaux de la parole totalitaire, l’humanité voguerait à l’aise en goûtant aux plaisirs des poissons silencieux ; bien plus, ces pseudo-humains auraient besoin à chaque instant de ces géantes vagues de paroles insensibilisantes et ne pourraient plus supporter d’en être retirés, encore moins d’être mis dans le cas d’avoir eux-mêmes à parler. » (Armand Robin, La Fausse parole, Le temps qu’il fait, 2002, p. 47-48.)

Crise du langage ? Partielle, entière ?

Appelons, si on le veut bien et déritorrialisant Nietzsche, éditorialine cet éditorialisme invétéré et idéologique, ou la langue impériale des médiatiques et des politiques réunis qui intoxique aujourd’hui le langage critique et la parole clinique, qui ruine la pensée et qui déprime l’esprit et les corps. Éditorialine la politologie (science aussi loquace qu’exacte), l’expertise (économique, sociologique, etc.), tout ce qui tous les jours, partout, exaspère les faits pour qu’ils rendent une vérité qu’eux-mêmes ignorent. Au mépris du langage et de la parole (de la pensée donc). Or langage et parole sont ce qui, en bonne politique, devrait emporter les âmes et embarquer les corps ; car ce que le politique veut, la politique le fait (Rousseau en 1762).

Quelques pistes pour prendre acte de la situation :

1. Ce langage-là tient aujourd’hui les écrits et les écrans, a la main sur le pouvoir, ou tient du pouvoir sa main, qui ne dit rien pour ne rien dire, ne pense rien pour ne rien penser, qui ne dit rien, ne pense rien pour faire que la pensée ne dise rien.

2. L’ancienne société du spectacle est maintenant société des spectres, du divertissement et des parodies : le régime de la parodie met pourtant à l’image les spectres que nous refusons d’être.

3. De deux choses l’une : nous ne sommes pas en guerre, alors c’est une révolution ; ce n’est pas la révolution, alors nous sommes en guerre.

Or, il nous faut parler encore (pour penser).
Comment utiliser à nouveaux frais critiques les mots qu’ils utilisent ; en utiliser de nouveaux à leur opposer, et suivant quelles règles à valoir pour chacun, qui sait pour tous, pour que ceux-ci cessent de démonétiser la pensée, pour que le langage se ressaisisse de la pensée.
D’une pensée efficace, politique.
Il ne s’agit pas de constituer un dictionnaire (ou pas seulement – un dictionnaire pourtant serait possible), mais de mesurer à quel prix un dictionnaire s’est constitué, auquel opposer la pensée.

Alain Jugnon & Michel Surya

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Éditeur : Éditions Lignes
Prix : 20,00 €
Format : 16 x 21 cm
Nombre de pages : 192 pages
Édition courante : 22 octobre 2013
ISBN : 978-2-35526-124-4
EAN : 9782355261244