En dépit de – ou « grâce à » – la crise majeure qui a éclaté entre les pays européens sur la question du soutien à la politique de l’administration Bush en Irak, l’Europe est en cours de constitution. Entendons par là qu’elle se forme, avec l’élargissement, dans le projet de mettre définitivement fin à la division des deux Europe qui dura cinquante ans, et qu’elle se construit, à travers le projet constitutionnel, dans un processus de renforcement institutionnel. Mais qu’en est-il de la volonté politique européenne à l’épreuve de cette crise politique, qui a révélé des intérêts divergents, des priorités hétérogènes, des perceptions paradoxales du projet européen ? Qu’en est-il de la participation citoyenne à cette Europe en constitution ?
Tenter de comprendre le processus d’élargissement, c’est interroger le rapport à l’altérité, le rapport au passé, les processus de démocratisation tels qu’ils ont été préconisés par l’Union européenne dans « l’autre Europe » et perçus par les pays candidats. C’est parler d’un imaginaire politique européen, ou d’imaginaires politiques européens, en transformation. C’est poser la question du rapport aux marges de cette Europe agrandie sur son Est, son Nord, son Sud. Parler de la démocratisation aux frontières, c’est se demander si l’on peut imaginer un rapport aux autres de l’Europe qui ne serait pas celui de l’inclusion/exclusion, mais celui d’un rapport d’égalité dans l’échange. Et c’est aussi parler des marges au sein de l’Europe, des « trous noirs » de la citoyenneté et de l’égalité, et les ramener dans le projet politique européen.
L’Europe en constitution reste un espace civique et social à investir, un projet pluriculturel et interculturel à habiter, et elle ne peut de ce fait se résumer à une construction institutionnelle. Quels sont les a priori culturels, anthropologiques du projet de constitution européenne ? Qu’est-ce qui se construit de l’Europe à ses frontières ? Comment penser une constitution qui ouvre les citoyens à une pratique politique européenne ? Comment se dégager de l’angle mort de la politique dans l’Union européenne ?
Sommaire
Ghislaine Glasson Deschaumes, Avant-propos
Etienne Balibar, Quelle « constitution » de l’Europe ?
Karl Schloegel, Le laboratoire « Europe », ou : comment devenir Européen ?
Giacomo Marramao, L’Europe après le Léviathan. Technique, politique et constitution
A. Dal Lago et S. Mezzadra, Les frontières impensées de l’Europe. Cette constitution est-elle une troisième voie pour l’Europe ?
Marc Crépon, D’un prétendu héritage chrétien
Kalypso Nicolaïdis, Demos et Demoï : fonder la constitution
Olivier Beaud, La question de l’homogénéité dans une fédération
Abram De Swaan, La constellation des langues
Krzysztof Czyzewski, Frontières et Agora
Stéphane Yerasimos, Chypre, un écueil sur le chemin de la Turquie vers l’Europe
Dragan Klaic, Dans le labyrinthe de l’Europe. Journal de bord
Textes réunis par Ghislaine Glasson Deschaumes et Etienne Balibar
Directeur : Michel Surya
Comité de rédaction : Fethi Benslama, Alain Brossat, Jean-Paul Curnier, Jean-Luc Nancy, Bernard Noël, Enzo Traverso