En 1995, Jacques Derrida dénonçait l’apparition d’un « délit d’hospitalité », l’évolution toujours plus restrictive du droit d’asile et l’extension sans limites d’un « système policier d’inquisition, de fichage, de quadrillage » des migrants. Il en appelait à une hospitalité « absolue, inconditionnelle, hyperbolique » qui exige un accueil sans calcul et sans conditions.
Vingt ans plus tard, alors que l’Europe est devenue toujours plus inhospitalière, ses prises de position n’ont rien perdu de leur force. En revanche, son éthique hyperbolique de l’hospitalité a suscité de nombreuses critiques. On lui a reproché de demeurer abstraite et utopique en méconnaissant la dimension de l’action politique.
La notion même d’une hospitalité inconditionnée mérite en effet d’être questionnée. En exigeant un accueil sans réserve, l’ouverture absolue du (chez-) soi à tout autre, ne risque-t-on pas d’accroître l’angoisse de « l’autochtone », son allergie à l’Étranger ? À l’exigence aporétique d’un don absolu sans contre-don, ne faut-il pas préférer une économie de l’échange et de la réciprocité, un partage de l’espace commun entre le soi et l’autre, l’habitant et l’arrivant ?
Il est temps de s’interroger à nouveau sur la question de l’hospitalité : de se demander si cette notion permet de penser le passage de l’accueil à l’intégration, à la citoyenneté ; si toute hospitalité ne tend pas forcément à se renverser en hostilité ; et quelle politique de l’hospitalité, quels nouveaux dispositifs seraient requis pour résister à cette inversion hostile.
C’est le statut de l’étranger, de la migration et de l’exil, de la frontière, de la citoyenneté et leurs transformations dans un monde globalisé qu’il s’agit de questionner si nous voulons comprendre la possibilité et les enjeux d’un nouveau cosmopolitisme.
Numéro conçu et réalisé par Alexis Nuselovici et Jacob Rogozinski, avec le concours et dans le cadre du Collège international de philosophie (CIPH), du Collège d’études mondiales (chaire « Exil et migrations ») et de l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS)