À quoi sert qu’un personnage s’échappe d’une fiction ? À réfléchir peut-être au statut de la fiction. À réfléchir sûrement au statut des images au moyen desquels se crée et perpétue toute fiction. C’est à quoi joue Bernard Noël dans ce livre qui tient à la fois du récit et de la méditation. Du récit érotique et de la méditation sur l’image érotique (de l’image érotique dans le récit, mais pas seulement ; dans la peinture aussi bien).
Simone, personnage incandescent d’Histoire de l’œil, de Georges Bataille, dont on se souvient qu’elle s’est livrée aux derniers outrages sur un ecclésiastique sévillan, revient ici sous la plume de Bernard Noël, parlant pour elle-même mais aussi pour l’Auteur (c’est-à-dire, non pas pour Bernard Noël mais pour Bataille, faisant de celui-ci et à son tour une sorte de personnage de fiction), et s’offre à de nouveaux excès. Excès vite décevants : la plate répétition menace, comme si l’imagerie érotique ne disposait que d’une faible capacité de renouvellement, ou comme s’il fallait, pour la renouveler, des imaginations aussi fiévreuses que celle de Bataille.
« Nommer, écrit Bernard Noël, est une magie décevante, qui convoque tout et ne fait apparaître rien. » Le pouvoir de convoquer est grand en effet, peut-être même illimité, mais celui de faire apparaître est inversement proportionnel : « Aucun orage entre eux, seulement des poses […]. Ces gens citaient des images. » Pour qu’une image constitue une apparition et non pas seulement une simple convocation, il y faut une pensée. Pas n’importe quelle pensée, précise Bernard Noël, mais une pensée « liée au cul ». L’image érotique n’a de puissance qu’à la condition qu’elle associe le trouble sexuel à la violence inhérente à l’espèce.