« On peut seulement se laisser emporter, se laisser recouvrir, se laisser prendre à ses lacets, à sa touffeur, aux pièges qui sont sa vérité. L’épreuve est rugueuse mais, dès l’exclusion qu’elle assigne, commence à fonctionner sa provocation, son magnétisme. Une lecture, une seconde lecture, et les immersions répétées dans le texte irriguent en nous des strates insoupçonnées. Même si nous nous désintéressions de ce dont il parle, personnages, lieux, actions, circonstances, difficile après les premiers pas dans une contrée hostile, d’échapper à son emprise, de ne pas céder aux rouages dévorants de sa logique démentielle. »
Jacques Dupin
L’Eau des fleurs a été écrit entre décembre 1996 et avril 2003. Ce sont les deux dates que Jean-Michel Reynard donnent à la fin de ce livre, livre testament auquel il donnait un statut tout autre qu’aux précédents. Il semble que L’Eau des fleurs fut pour lui la dernière façon de trouver un lien pacifié entre son existence et le fait de ne pouvoir être en elle, jusque dans l’échec de leur rapport, sans l’écrire, ou tenter d’en écrire le fait vérace, quand en même temps il savait l’énergie de l’acte scripturaire perdue d’avance. Pourtant, d’une façon, ou d’une autre, L’Eau des fleurs est le livre d’une convalescence, et la mort de Jean-Michel Reynard, à 50 ans, en novembre 2003, l’aura, par un coup du sort aussi léger, logique, inéluctable qu’inacceptable, rendue définitive…
L’Eau des fleurs a ce statut à part, que l’auteur lui-même, de son vivant, ne cachait pas. Si l’on ne peut ignorer la portée qu’un tel livre nous semble avoir sur la littérature, on ne sait pourtant pas, symétriquement, lequel lui donner, tant il casse et détourne tout genre et, plus fondamentalement, revivifie le rapport qu’elle aura peut-être touchée dans une existence. On peut convoquer Kafka, multiplement nommé sous la minuscule « k », tout au long de L’Eau des fleurs, sans pour autant les comparer : mais ne serait-ce que par le rapport que l’un et l’autre attendirent d’un acte d’écriture qui légitimerait l’existence. L’Eau des fleurs est né de la recherche de cet acte. Il aura finalement, jusque dans l’espièglerie qui s’y nomme d’un rire d’enfant, conduit Jean-Michel Reynard à une certaine sérénité, à la fin, par la fin des fleurs.
Emmanuel Laugier.