Cent quarante-deux infamies composent ce livre. Soit autant de tableaux de la volupté incestueuse, écrits avec la précision et la grâce poétique des haïku, autant de scènes débauchées comme saisies au vol, au passage, dans l’univers clos de la maison familiale, toutes fenêtres fermées et entourée, comme toute maison familiale, d’une indestructible aura de respectabilité. Père, mère, enfants petits et grands sont ici communément livrés aux expériences du sexe sous la conduite attentive et crûment impudique des parents.
Y a-t-il là matière à scandale, incitation à quoi que ce soit de criminel ? Il faudrait pour l’affirmer la mauvaise foi la plus aguerrie. Ces infamies, ces petits arrangements sexuels familiaux, sont comme un voile levé sur la vie obscure des familles que protège un hypocrite tabou en dépit d’une réalité quotidiennement répétée qui témoigne du contraire : de ce que la plupart des viols ont lieu en famille, de ce que l’usage sexuel des enfants à des fins de débauche et de jouissance a d’abord lieu dans le cercle clos de la domesticité. Et cela tout le monde le sait. Mais à cette vérité somme toute abstraite que recouvre et dénie l’interdit, Baptiste Moorman ajoute dans ce livre deux choses essentielles. La chair d’abord, la chair, soigneusement décrite, aux prises avec la chair : celle, parentale, des vieux et celle, avide et curieuse, des enfants. La chair et la pensée car à chaque personnage sont prêtés l’étonnement, la curiosité, l’excitation pour tout ce qui, surgissant de ce mélange incestueux, fait sens, et cela dans une langue abrupte, belle et ciselée, exempte de toute forme de pathos ou de jugement moral ; une langue qui semble parler l’ordinaire du dérèglement familial. De sorte qu’au final, de ces cent quarante quatre scènes de luxure, de ce lent ballet hypnotique des postures, c’est, très étrangement, une impression d’irréalité songeuse et de froide réalité qui se dégage. Une irréalité due à la beauté de la langue et à l’extrême sérénité de ces débauches que ne semble pas effleurer l’idée de perversion, et une réalité soupçonnée : celle de la tension sexuelle qui se déploie dans le huis clos des familles et que le moindre pas hors de la civilisation peut suffire à déchaîner sans que nul jamais n’en sache rien.
Infamies est le premier livre de Baptiste Moorman.
Dans la presse :
« Dans ce premier roman, Baptiste Moorman orpaille dans les sédiments les plus enfouis de notre inconscient des pépites brillant tels des soleils noirs. » Laurent Six, Le mensuel littéraire et poétique.