Mi-2017 : fin d’une interminable, d’une épuisante séquence électorale. Le joyeux jeu de massacre auquel elle nous a donné l’occasion d’assister tient d’un divertissement imprévu, dont la presse s’est emparée jusqu’au vertige, et dont l’opinion a semblé s’enchanter. On en connaît le résultat.
La question qui se pose : à quoi tout le monde a-t-il joué, qui en a sorti la plupart de ceux qui avaient cru pouvoir le gagner ? 2012 nous avait prévenus qui avait disqualifié Strauss-Kahn d’une façon dans laquelle quelque chose d’une tragédie se sentait encore. 2017 aura été beaucoup plus loin, qui aura porté la politique à son degré de bouffonnerie le plus grand : un parangon de vertu (Fillon) sorti comme si la honte des petits arrangements personnels possibles passés avec l’argent avait dû ne viser que lui, et que tout le reste dût en être blanchi. S’encourageant de cet exemple inespéré, tout le monde sera sorti après lui (par les électeurs pour les uns : Sarkozy, Valls, Hamon) ou s’en sortira de lui-même (Hollande, par peur de ceux-ci). Peu importait, semble-t-il, de savoir qui resterait pour venir occuper les places que ceux-ci, par la force des choses, allaient laisser vacantes. Au contraire, c’était là ce que semblait vouloir ce jeu, auquel presse et opinion prirent manifestement un si grand plaisir. Peu importait surtout, puisque n’importe qui pouvait les occuper, ces places, puisque mieux valait que n’importe qui les occupât – c’est ce que ce jeu semblait nous dire.
L’abstentionnisme (un peu plus massif encore) l’a toujours laissé entendre, qui ne se donne que rarement comme politique (comme l’est l’abstentionnisme révolutionnaire). Les populismes aussi, lesquels ont entonné, chacun pour son compte et son camp, le « Du balais » ou le « Chassez-les tous » de règle, par hâte d’en finir avec une classe politique par nature « pourrie » (pas, pour autant, pour en finir avec tout pouvoir ; pour le remplacer par un pouvoir forcément fort). Le « dégagisme », variante savante des populismes et qui les a pénétrés, l’a dit aussi, l’a théorisé même, qui ne cherchait pas exactement les mêmes effets, qui a concouru à ceux-ci cependant.
Le couple populisme-dégagisme a-t-il échoué ? C’est ce qu’il semble du point de vue de ceux qui l’ont fait valoir le plus. C’est le contraire qui est vrai pourtant. Parce qu’un dégagisme lui aussi populiste, mais élitaire et mondain celui-là (contradictio in adjecto ?), existe désormais, qui a raflé la mise et dispose de tous les pouvoirs conférés par la Constitution. Le « marchisme » (Macron et les siens), a tout (et tous) « dégagé » sur son passage au terme de ce jeu aveugle, mais jouissif, à « l’homme providentiel », au « premier venu », à « l’homme entre mille », au « tiré au sort », au « dernier homme », etc. Dernier soubresaut dont la démocratie aurait encore été capable, qui ne l’est pourtant plus de rien et depuis longtemps.
Parce que quelque chose étonne là-dedans (c’est le ridicule propre à cette situation inédite) : ce dégagisme n’a tout au plus dégagé que des représentants politiques (des dits représentants politiques), mais aucune politique en propre, encore moins toutes. Pourquoi ? Parce qu’il y a longtemps que toute politique a déjà été « dégagée », et que c’est la raison pour laquelle le « marchisme » l’a emporté, qui est absolument homogène aux raisons de la nécessité d’un tel « dégagement ». Parce qu’il y a longtemps que n’existe plus aucune politique. Parce que, si tout le monde semble s’accorder pour en entretenir l’illusion, il n’existe plus que l’illusion de quelque politique que ce soit, même réactionnaire. S’accordaient-ils sur ce point qu’il s’agissait pour eux de remplacer par d’authentiques représentants des intérêts du peuple les non moins authentiques représentants des intérêts du capital, le fait est, inconséquence de leur calcul, que c’est le capital qui a saisi la divine occasion de se choisir d’encore plus authentiques représentants de ses intérêts, de plus intéressés à sa prospérité, à la fin de tout à fait féroces. Tout simplement parce qu’il y a un moment qu’il n’y a plus de politique que du capital et qu’il n’y a plus d’élections que faites pour servir au mieux celle-ci. Certes, ils dirigeaient déjà, mais pas si ouvertement. S’ils dirigeaient, c’est comme en sous-main, comme si l’alliance que le capital avait de longtemps passé avec la représentation dite-politique avait été en partie honteuse. Comme si celle-ci n’avait jusqu’alors été que le prête-nom de celui-là. Dorénavant, les hommes de main du capital (le FMI, la Banque européenne, le Medef) dirigeront, au grand jour, ôtant toute honte à une telle alliance, résultat enfin obtenu d’un long et persévérant travail idéologique à l’issue duquel peut être officialisé le fait que les intérêts des élites (financières) et des peuples (précarisés, paupérisés) sont les mêmes, à la condition de servir les premiers d’abord, parce que les servir d’abord ce serait servir les seconds ensuite, par grâce subsidiaire. Nous en sommes là.
Nous en sommes là, à Macron, au macronisme, au « marchisme », autant dire à rien. Avec eux, la démocratie a atteint à son stade terminal, soit à ce que Beckett fait dire à Clov : Fini, c’est fini, ça va finir… Encore que Beckett ajoutait : Ça va peut-être finir. Tout ce qu’il resterait à penser quant à elle, c’est ce « peut-être ».