« Faites les fêtes », dans mon idée, vise très précisément les « Fêtes de Bayonne » qu’on n’a jamais appelées « la feria ». D’ailleurs, il n’y a pas de taureaux, pendant les fêtes. On dit « faire les fêtes ». Ou « je fais les fêtes depuis longtemps », ou « je vais aux fêtes ». Toujours, impérativement, le dernier mercredi de juillet, pendant six jours. Ou alors cinq, ou parfois autour du 14juillet. Bref, c’est la vie.
Oui, je vais aux fêtes. Quand on est à Bayonne ou « de Bayonne » (question pour moi exaspérante, mais vraie question, politique, urbaine), on ne précise pas. Pas plus qu’on ne précise « basque », quand on parle de pelote. Grand tournoi pendant les fêtes, justement.
Parce que, à moins que vous n’ayez des renseignements de première main sur la pelote picarde ou monégasque, cela va de soi.
J’ai relevé un graffiti, il y a deux ans : « Les fêtes appartiennent à ceux qui les font ». Pour des raisons d’état-civil – j’ai quitté Bayonne, une de mes villes natales, à l’âge de 17 ans, sans cesser d’y revenir –, je me suis rendu compte presque par hasard que je fais les fêtes depuis une soixantaine d’années.
Enfant, les fêtes ont une couleur de rêve.
On dit les fêtes parce qu’elles sont plusieurs.
Adolescent, un parfum de farandole, de liberté et de premier baiser.
Plus tard, une drôlerie de bande, de copains d’école, ou de copains plus vieux qui savent faire tout ce que vous ne savez pas faire : chanter comme des chantres, jouer au rugby comme des princes, danser comme le duc de Nemours, se bagarrer comme des brutes, rire comme des fous, faire ouvrier avec scrupule, comme des amoureux de leur travail, etc.
Ils m’ont beaucoup appris, infiniment plus que les universitaires, différemment des musiciens ou des livres.
Les fêtes de Bayonne m’ont maintenu en vie.
J’y vais toujours. Je réduis les nuits, les consommations, les drôleries, mais j’y vais. Les fêtes vous font aussi. Vous ne faites que ce qu’elles vous laissent faire selon votre ardeur à vous.
De réjouissance populaire si bien racontée par Michel Leiris, de passage dans la ville en 1946, à aujourd’hui, les fêtes sont devenues monstrueuses.
En 2012, les fêtes ont, le jour, une face charmante, s’adressent à toute la ville, tous les âges, toutes les classes sociales.
La nuit, elles se changent en ce que vous pourrez, selon ce que vous êtes : « peña privée », club champagne, ou sorte de rave à ciel ouvert mais en ville, sans limite, sans retenue, insensée.
J’y vais toujours, même moins, parce que les fêtes me racontent la fable du monde.
Elles me renseignent.
Je m’y amuse. J’y fais moins la fête que les fêtes.
Surtout, je revois, je retrouve, je partage un sens formidable de la drôlerie et de la prise de possession.
Même sous contrôle, les fêtes, la rue, les rythmes, le jour et la nuit appartiennent à ceux qui les font.
Et maintenant, ceci.
On croit que les fêtes remontent au néolithique ou du moins à l’époque romaine. Bayonne existait déjà.
Pas du tout.
Elles sont récentes.
De toutes pièces fabriquées, en 1932.
Devant la « crise », le chômage, l’anxiété, mais aussi la peur que pouvaient susciter les classes dangereuses, la ville a fédéré les fêtes patronales de quartiers, créant « les fêtes de Bayonne ». 2012 est le 80e anniversaire des fêtes.
De même que mon père, petit commerçant en vins, aurait pu faire critique d’enterrement (il montait s’habiller comme un torero, partait, suivait des enterrements dont il ne connaissait pas parfois l’intéressé, nous faisait, le soir, le compte rendu exact, kantien et rieur, de ce qu’il avait vu et entendu), j’aurais pu être critique de fêtes : Pamplona et Séville, le nord et le sud, toutes les fêtes du Sud-ouest, Féria de Nîmes, fête de Gion à Kyoto, fêtes du Nord et de la bière, tout m’a passionné.
Jamais, hélas, je ne me suis senti antropologo, comme disent les Andalous pour moquer les visiteurs charmés et supérieurs.
Donc, je n’ai rien à analyser des fêtes. Je peux les évoquer. En parler fait plaisir.
Les plus belles fêtes de Bayonne sont celles que je n’ai pas faites, en 1967 : lors d’un stage universitaire à Besançon (vieille ville espagnole) pris d’une mélancolie poignante à l’instant où je savais que commençaient les fêtes (de Bayonne) avec lesquelles j’avais décidé de couper les ponts ombilicaux cette année-là, j’avais 22 ans, je me suis mis à raconter à Brian, un Irlandais de catégorie qui connaissait Joyce et la vie, les fêtes. À minuit pile, Brian, qui maîtrisait infiniment mieux la bière que la langue de Leiris, me dit, quelque peu sententieux, « Bien, ça c’était pour le soif, maintenant on va boire. »
À 5h du matin, programme rempli, il me fit jurer de ne plus jamais manquer aux fêtes de Bayonne.
C’est à cause de lui.
Francis Marmande
Entretien avec Alain Veinstein, émission Du jour au lendemain, France Culture, le 18 juillet 2012.
Entretien avec Francis Marmande paru dans le journal Sud-Ouest, le 28 juillet 2012.
Recension par Frédéric Aribit surlacauselitteraire.fr. (juillet 2012)