Et si Achille n’avait jamais rendu la dépouille d’Hector ? C’est en revenant à cet événement fondateur que Juan Branco interroge, dans son court essai D’après une image de Daesh, les conséquences de l’irruption de l’organisation terroriste dans notre espace fantasmatique et imaginaire, à travers le viol de la scène du Bataclan et, quelques mois plus tôt, la profanation de plusieurs dépouilles par un certain M. Abaaoud.
Comment avons-nous cru pouvoir maintenir la mort et le sacrifice au dehors de nos espaces politiques ? Comment avons-nous pu nous penser imperméables à la montée d’une violence que nous ne cessions de commenter, mois après mois, au cœur de notre espace méditerranéen ? Alors que notre rapport à la souveraineté s’étiole et que, peu à peu, s’accomplit la prophétie de Georges Bataille, l’effondrement du régime bourgeois, DAESH apparaît comme un symptôme, celui d’une radicalité renouvelée qui ne peut être défaite, et qui, par l’évidence de son geste, vient rompre vingt siècles d’histoire de la représentation.
Dans ce texte, qui s’efforce de ne pas ajouter au « tas d’ordures », pour reprendre le mot d’Adorno, produit après les attentats de 2015, Juan Branco part ainsi de deux vidéos filmées, qu’il croise avec des lectures de Kleist et Bataille, interrogeant la mimétique produite avec les images qu’Alfred Hitchcock et John Ford filmèrent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au sein des camps de concentration.
Juan Branco montre ainsi comment nous avons imposé et nous sommes nous-mêmes soumis à un paradigme visuel ayant pris l’apparence du neutre, d’une moralité du neutre, dont le stigmate fondateur, la mort de masse, se voit renversé par l’organisation terroriste pour revendiquer une rupture civilisationnelle que nous avons tous perçue, à défaut de l’avoir énoncée.
Les attentats, par leur effet de sidération, ont provoqué une importante production intellectuelle d’ordre réactif. Il s’agit de proposer ici, dans la suite des travaux publiés dans la revue Lignes (n° 48, octobre 2015), une réflexion sur les sources de cette réaction, et sur le pourquoi d’une sidération à laquelle nous avons trop rapidement, trop naturellement, acquiescé pour qu’elle ne soit révélatrice d’un basculement profond, qui dépasse largement le produit périssable dénommé DAESH.
Extraits d’une conférence à l’AEPP dans le cadre de la nuit des idées à partir de l’ouvrage "D’après une image de Daesh"
Et surtout :