... difficulté de présenter la poésie contemporaine en général (comme la musique contemporaine) ; quasi-impossibilité de présenter celle-ci, de Jean-Michel Reynard, certainement l’une des plus puissantes dont il nous ait été donné d’être les contemporains.
L’une des plus belles aussi : si triviale qu’elle soit souvent, intentionnellement, plus triviale que n’importe quelle autre, elle n’en est pas moins belle ; l’une des plus susceptibles de créer des images telles qu’on croie de nouveau à la capacité de la langue de se « recommencer ».
Il s’agit bien ici, comme dans L’Eau des fleurs (paru chez Lignes, 2005, avec une préface de Jacques Dupin), de la langue. Laquelle ? Cela ne va pas de soi, celle de Reynard « usant » de la langue générale, mais pour l’user, pour que de cette usure une autre naisse. Et celle qui naît là doit à peu près autant à une langue inexistante qu’à la langue générale. Deleuze disait qu’un écrivain se reconnaît à ce qu’il crée une langue, laquelle se crée ensuite ses lecteurs. De ce point de vue, il y a une langue reynardienne, reconnaissable entre toutes ; mais quand cette langue se créera-t-elle ses lecteurs (et combien ?)
« le cou / et le cou : / si on coupe le cou(p) des mots / est-ce que il est vrai que ils continuent de parler / même sans tête ? / »
sans sujet pourrait passer pour une ode à la mer, si le mot « ode » ne témoignait pas pour un temps de la poésie révolu – que celle de Reynard a entre autres révolu. Une ode ou une élégie (idem)
À la mer comme tout du monde.
La mer comme langue elle-même, ou comme matrice et état de la langue. De l’improbabilité de la langue : « on peut penser que la mer […] examine avec nous l’improbabilité de la langue, puisqu’elle nous représente cette langue dans l’état de fœtus universel, ou de virginité. »
La mer et la nature, la matière.
C’est un livre étonnamment solaire, même si la maladie est présente et la mort proche : « mourir ne est pas ne plus être, cesser d’être, il est ne pas être. un ne-pas-être sans précédent, sans antériorité, sans relais, sans ressort. c’est le ne-pas-être sans temps. »
La mer et la nature, la matière : « l’anti-matière, l’anti-être. »
« en mourant, je ne me souviens plus de avoir vécu. c’est cela, mourir. de ne pas se en souvenir de avoir vécu »
« […] réel
qui n’a qu’un sourire
de mourant
à mettre sur les lèvres
de la mer »
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