Le XXIe siècle a commencé par l’annonce – citons Fukuyama – d’une « fin de l’Histoire » (1992). Nous avions eu droit, bien plus tôt, au constat, notamment par Lyotard, d’une « fin des grands récits ». Bien plus tôt encore, au début du XIXe siècle, Hegel était certain que l’Absolu avait terminé le parcours par lequel il parvenait à une complète conscience de lui-même. Entre l’origine et l’aujourd’hui de ces annonces, on ne peut dénombrer toutes les « fins » dramatiques dont les philosophes se sont fait une spécialité, singulièrement la « fin de la Métaphysique », et en bout de course la fin de la philosophie elle-même.
Pour ce qui me concerne, j’avais tenté dès 1989 (Manifeste pour la philosophie, Seuil) de faire prévaloir bien plutôt la fin de toutes ces « Fins », et l’idée qu’il ne s’agissait en philosophie, comme toujours, que de faire un pas de plus à l’école des événements de vérité dont nous sommes contemporains.
Voici que l’Histoire elle-même vient à ma rescousse. Qui ne voit en effet que les soulèvements dans le monde arabe sont très proches, forme et fond, des soulèvements dans le monde européen aux alentours de l’année 1848 ? Dans les deux cas, il s’agit de jeter à bas des constructions despotiques mises en place et/ ou entretenues à grands frais par la Sainte Alliance des grandes puissances. Dans les deux cas, cette Sainte Alliance – des monarchies en 1848, des « démocraties » en 2011 – a comme objectif d’imposer universellement le pouvoir immodéré des oligarchies financières. Dans les deux cas, cet objectif est celui d’une stabilisation contre-révolutionnaire définitive, qui serait, en effet, une « fin de l’Histoire ». C’est que ces deux Saintes Alliances se sont formées après ce qu’elles imaginaient être la fin de l’époque révolutionnaire qui les précédait : défaite finale de Napoléon, en 1815, vue comme l’ultime avatar de la Révolution française et de la démocratie terroriste ; défaite finale de l’Union Soviétique, en 1989, vue comme l’ultime avatar de la Révolution russe et du communisme d’État. Et, de même que les révolutions de 1848, au-delà de leurs échecs circonstanciels, ont sonné pour un siècle et demi le retour de la pensée et de l’action révolutionnaires, de même les soulèvements en cours, au-delà des replâtrages que va tenter de leur imposer la « communauté internationale » (nom contemporain de la Sainte Alliance des conservatismes), sonnent, à l’échelle mondiale, le retour de la pensée et de l’action des politiques émancipatrices directement articulées à l’action et à l’organisation des masses populaires.
Le présent livre salue ce réveil de l’Histoire. Il comprend une analyse générale et des exemples. J’ai voulu que ces exemples ne se limitent pas aux soulèvements en cours dans le monde arabe (Tunisie, Égypte), ni aux manœuvres en cours pour que les puissances « occidentales » brisent l’élan populaire en s’imposant sur la scène par la force des armes (Libye). Je me suis aussi intéressé à ce qui, dans le mouvement des idées, a préparé le retour de l’universalisme émancipateur contre le relativisme faussement démocratique, et à ce qui, jusque dans des mouvements avortés (par exemple celui sur les retraites en France), esquissait de nouvelles figures organisées adéquates aux temps tumultueux qui s’ouvrent.
Alain Badiou
"Entre lutte exaltée et conservatisme : les maîtres à penser et la révolution", Recension par Jean-Marie Durand dans Les Inrockuptibles (le 25/10/2011).
"Au commencement était l’émeute", recension par Éric Aeschimann dans Le Nouvel Observateur (20 octobre 2011).
Alain Badiou, invité d’Emmanuel Laurentin, dans La Nouvelle Fabrique de l’Histoire (France Culture), le 28 octobre 2011, à l’occasion de la parution de son ouvrage Le Réveil de l’Histoire. Émission à écouter ici.
Frédéric Taddei reçoit Alain Badiou à l’occasion de la parution prochaine de son ouvrage Le Réveil de l’Histoire, le 4 octobre sur France 3 (Ce Soir ou Jamais). Extrait consultable en ligne (minute 43’)
Recension par Jean Ristat dans Les Lettres Françaises (publié le 7 novembre).
Alain Badiou et l’occupation de la Puerta del Sol, à Madrid, par les indignés espagnols, point de vue sur France Inter, le 7 novembre 2011.
Recension par Abdelmajid BAROUDI sur Tolerance.ca [26 décembre 2011].
Entretien à l’émission Samedis du livre sur France Culture. [31 mars 2012]
Alain Badiou, écrivain, philosophe, professeur émérite à l’École normale supérieur de la rue d’Ulm, est l’auteur de très nombreux livres parmi lesquels, aux éditions Lignes, De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Circonstances 4) ; L’Hypothèse communiste (Circonstances 5) ; L’Explication (avec Alain Finkielkraut).