Le vote se présente comme un choix démocratique.
Mais la condition de ce choix, le
choix premier, le choix du choix, c’est de
voter, c’est d’avoir foi dans le vote.
Ce choix primordial, tenu en réalité pour une
évidence (dont le nom usurpé est « démocratie
»), est tout simplement l’acte d’allégeance
au système politique existant. Il résume la
religion dont nous devons êtres les fidèles
croyants. Cette religion proclame qu’il n’y a
rien de mieux à faire en politique que de participer
au consensus « démocratique », dont le
vote est la cérémonie. Nous crions en choeur
« vive la démocratie ! », même si rien d’acceptable,
encore moins de créateur, n’en résulte
pour notre existence réelle – singulièrement
l’existence des travailleurs ordinaires, pour
ne rien dire ce ceux qui viennent de contrées
démunies et lointaines –, exactement comme
dans d’autres siècles même le plus miséreux
des serfs devait crier avec ferveur « vive le
Roi ! », « vive notre bon Roi ! ».
Que faire et que dire si l’on tient que cette
foi est aberrante, comme on le voit tous les
jours ? Comment résister aux délations et
inquisitions qui, si vous vous soustrayez au
consensus, vous désigne à la vindicte générale
sous les noms que toute religion invente pour
ses apostats (« Totalitaire ! », « Fasciste ! »,
« Stalino-maoïste ! », « Antisémite ! ». J’en
passe, et des meilleurs.)
Nous pouvons au moins trois choses :
– Profiter sans vergogne d’une conjoncture
électorale particulièrement peu exaltante
pour montrer que nous avons affaire à un
choix forcé qui annule toute pensée autonome
et tout désir vrai, et cela pour absolument
rien. Il faut pour ce faire en passer par une
critique décisive du concept de « gauche »,
qui sert depuis deux siècles à déguiser en
« choix de société » une variante de la cérémonie
politique en l’honneur du Capital.
– Organiser la résistance à l’increvable argument
: « en effet, le parlementarisme, ce
n’est pas fameux, mais tout le reste est pire ».
Argument qui revient à prétendre qu’il y a
un pire qui est moins pire que le pire.
– Montrer que se soustraire à cette convocation
par l’État qu’est le vote est une condition
subjective de la liberté. La liberté de créer
obstinément les lieux nouveaux d’une politique
d’émancipation.
Recension par Jean-Emmanuel Ducoin sur La Roue Tourne. [10 mars 2012]
"Alain Badiou et la démocratie représentative". Émission Avant-Première (mars 2012).
Recension par Cyril Bérard sur Médiapart.
"Ces intellectuels qui ne voteront pas". Article de Anna Topaloff dans Marianne. [31 mars 2012]